samedi 16 avril 2011

Bucarest - retour aux sources




Il y a quatre ans lorsque avec mon frère Stéphane nous avions définitivement fermé la porte de l’appartement de notre grand-mère Béba, je disais au revoir à la Roumanie.  Pendant une soixantaine d'années, dans cet appartement parisien s'était perpétuée en miniature, mais avec force, la vie joyeuse du Bucarest d’avant ses tourments.  Chaque année mamie Béba retournait à Bucarest et c'était comme si elle en revenait encore plus forte.


Quatre ans après je rouvre en grand cette porte en venant pour la première fois à Bucarest, là  tout avait commencé.  Le fil de mes origines roumaines peut reprendre. On ne peut pas laisser derrière soi ce qui a fait ce que je suis.  On ne laisse pas derrière soi ses origines, un pays, une tradition, une culture, de la famille et des amis.  S’il n'y avait eu les souffrances, les exterminations, les confiscations et les exils, la  vie heureuse de notre famille aurait continué à Bucarest.  

À peine arrivé je dépose en vitesse mes affaires à l'hôtel et je me dirige tout de suite vers la maison familiale.  Presque comme d'instinct je me repère facilement et je marche aisément dans la ville.  Je découvre la ville dont j'ai toujours entendu parler et je perçois combien il devait être agréable de vivre dans le "petit Paris des Balkans". À Bucarest il y a beaucoup de quartiers résidentiels sans immeubles où dans les rues paisibles de belles maisons côtoient des bâtiments élégants inspirés de l’architecture parisienne.   Cela confère à la ville une noblesse et un chic indéniable.  J'arrive devant le 47 de la rue Plantleor; le vert-tendre du printemps commence à habiller les arbres et j’imagine ma mère et mes grand-parents sortant de leur grande maison pour se diriger vers la Calea Victoriei, ses belles boutiques et ses salons de thé.   Soixante-cinq ans plus tard j’emprunte le même chemin dans ce quartier où rien ne semble avoir changé si ce n'est que leur maison abrite maintenant six appartements.

Plus je regagne le centre plus je comprend l’évolution de la ville.  Le passé est toujours là, mais la marque d’une triste parenthèse de plus de quarante ans devient de plus en plus visible.  À cela s'ajoute le modernisme un peu désordonné de ces dernières années.  En fait Bucarest a connu des ruptures brutales qui ne lui ont pas permis d'évoluer naturellement et paisiblement. À la rigueur froide et triste de l'architecture de type soviétique qui s'est imposée rapidement dans les années 1950, se mélangent aujourd'hui les marques d'un capitalisme commercial  post- révolutionnaire pas encore complètement maîtrisé.  Cet étrange cocktail donne à la ville un aspect un peu hétéroclite où de magnifiques hôtels particuliers côtoient de majestueux bâtiments, des églises orthodoxes plus belles les unes que les autres se retrouvent coincées entre des blocs de HLM type soviétique et des immeubles plus récents surmontés d'enseignes publicitaires qui ne sont pas du meilleur goût. 

Le soir je retrouve les amis proches de ma grand-mère pour un repas dans la plus pure tradition roumaine.  Les escalopes panées défilent dans mon assiette et on rigole, on blague, le roumain et le français se mêlent, je retrouve la joie roumaine que j'ai connue chez ma grand-mère.  Ca fait du bien !

Le lendemain je fais connaissance avec mes cousins, Olly, Edith et Morel, Alexandru et Ileana.   Nous retissons les liens plus ou moins éloignés de la famille.  L'émotion ne se cache pas et on se parle comme si on s'était toujours connus.  Et puis Alexandru me fait partager sa très grande connaissance de la ville par une visite unique ponctuée d'anecdotes historiques qu'il me raconte avec un humour très savoureux. Nous terminons ce grand tour par un déjeuner chez Capsa qui était le restaurant chic de Bucarest où il fallait aller et être vu.  Le décor tout en moulures et dorures n'a pas changé.  Alors que nous trinquons je pense à mon grand-père qui devait y inviter ma grand-mère.  C'était  juste avant la guerre.   Aujourd'hui je suis là, à Bucarest, et à ma façon je perpétue et vis mes origines familiales roumaines, heureux et prêt à revenir.

Merci à tous ceux qui en France, aux États-Unis, au Canada, en Israël et bien sûr en Roumanie ont contribué à ce voyage et à ces retrouvailles.  Je leur en suis infiniment reconnaissant.