jeudi 17 juillet 2014

Jazz à Juan; quand le jazz est là, et plus encore...





L'été est depuis longtemps devenu synonyme de festivals en tous genres.
Le théâtre et la musique sous toutes leurs formes sont les rendez-vous incontournables des nuits étoilées de juillet et août.  Pendant quelques semaines, tous les courants musicaux sont rassemblés dans des lieux qui souvent les magnifient.  Pour l'amateur, c'est une fête que de pouvoir goûter au plaisir d'écouter une large sélection d'artistes soigneusement choisis et de découvrir de nouveaux talents.  Pour chacun, il y a le plaisir d'aborder la musique avec une oreille ouverte, exploratrice, curieuse et de ressentir des plaisirs nouveaux.  Car cet ensemble si particulier produit par un lieu, des artistes, l'air chaud, la lumière du couchant, est un cocktail vitaminé à l'émotion.   Mon festival, celui que je ne manque sous aucun prétexte c'est Jazz à Juan.  Mon histoire avec Jazz à Juan a commencé il y a longtemps. Bien longtemps.....

J'ouvre une très grande parenthèse......Au début des années 70, mon père  (Philippe) était publicitaire à l'agence Havas.   Figure reconnue du monde de la publicité, il avait activement participé à transformer les codes anciens de la "réclame", pour faire naître une forme nouvelle de création au service d'un changement profond des techniques de marketing.    Quelques années après mai 68,  il avait fait sauter ses verrous culturels, éducatifs et familiaux pour vivre dans un monde en profond changement.  Un monde qui faisait appel à des ressorts artistiques nouveaux pour nous faire aimer une marque et un produit.  Un monde où les images jouent sur notre inconscient pour déclencher des comportements de consommation liés à notre identification à celles-ci.   Aujourd'hui tout cela parait normal et acquis, mais c'est vraiment au début de la décennie 70 que cela a commencé.   Marchand (comme on l'appelait dans son milieu) avait sauté à pieds joints dans ce nouvel univers et à son échelle contribuait à le façonner.  Il collait à son époque, la devançait  même, à l'écoute des nouvelles musiques, des nouveaux talents, explorant les milieux alternatifs, cherchant dans les nuits parisiennes, il faisait éclore l'image, la photo, le son, le slogan qui allait toucher la population cible du produit.

En charge des budgets publicitaires de la source Perrier, il avait entre autres redynamisé l'eau de Saint-Yorre (« Saint-Yorre, mon foie connait pas »),  et le soda Fruité (« on n'a pas le tempérament à boire du raplapla, Fruité c'est plus musclé ! »).  Mais c'est avec Gini, qu'il a vraiment donné toute l'expression de son talent. Pour donner envie de découvrir une nouvelle expérience gustative, il avait trouvé ce slogan "Gini, un goût étrange venu d'ailleurs" et avait associé les Pink Floyd à l'image de Gini.   Dans le cadre de cette campagne, il avait organisé une tournée du groupe anglais en France, parrainée par Gini.  
A cette occasion il avait travaillé avec de nombreux personnages du show busines dont un certain Nobert Gamsohn.  Je ferme la parenthèse.....


L'été 74 (j'avais 12 ans), je passais le mois de juillet en vacances dans l'arrière pays cannois avec mon père.   Norbert Gamsohn qui était très ami avec lui, était le directeur artistique du festival de Jazz de Juan les Pins.  Le fameux Jazz à Juan.   Et grâce à lui, c'est en spectateur très privilégié que je me suis initié au jazz de la meilleure façon possible.  Pendant cet été là nous avons assisté à la quasi totalité des concerts.  Mais dans quelles conditions ! Grâce à Norbert, nous avions les meilleures places dans les premiers rangs et nous avions aussi accès au back-stage pour voir les concerts sur le côté de la scène.  Mais suprême privilège, nous étions admis dans le "Saint des Saints". Aujourd'hui le festival est presque une grosse machine, et les artistes ont des loges à leur disposition.  Pour peu que je me souvienne, il n'y avait pas de loges et avant les concerts les musiciens venaient boire un verre et se décontracter au bar de la plage située en contrebas de la scène.  Et chance extrême, Norbert nous donnait accès à ce lieu ultra confidentiel, et nous offrait le grand privilège de nous présenter les vedettes qui quelques minutes plus tard serraient sur scène.    
C'est comme ça, avec cette chance unique, que j'ai connu cette ambiance intime particulière qui règne avant les concerts auprès des plus grands musiciens de jazz.  Je me souviens tout particulièrement d'avoir été présenté â Eroll Garner, Muddy Waters et Freddy King.  Je crois aussi qu'il y avait Dizzy Gillepsie.   Certains m'avaient même signé un autographe sur un dessous de verre de bière.  Malheureusement je ne les ai pas gardés…    Ensuite, nous allions voir le concert soit dans les premiers rangs, soit sur le côté de la scène. Une fois le show terminé, il y avait des diners et des soirées à la Plage des Pêcheurs qui était un des haut lieux des nuit de Juan les Pins.  Nous nous retrouvions autour de grandes tablées jusque tard dans la nuit.  Il y avait une discothèque en plein air et je me souviens des fins de soirées bercées au son de « Rock your baby » de George Mc Crae.   Cette année là, la mode était aux chemises américaines de bowling.   Toutes les boutiques de Juan en vendaient et j'étais très fier de porter les miennes à l'occasion de ces soirées.

Alors, voilà comment j'ai fait mon éducation jazzistique, et comment est née ma relation particulière avec Jazz à Juan.   Un père aimant et bienveillant qui vivait dans un monde que je comprenais être peu ordinaire,  qui connaissait des vedettes et qui me faisait vivre des moments uniques tout en faisant mon éducation musicale, car il était un grand amateur de jazz.    

L'empreinte de Jazz à Juan est restée en moi depuis.  Cette émotion émerveillée que j'ai  ressentie durant ces soirées ne m'a plus quittée, et chaque soir que je passe à Jazz à Juan me transporte un peu en cet été 74 auprès de mon père au milieu de ces artistes, des  étoiles plein les yeux et du bonheur dans les oreilles.




Oui, il y a une magie à Juan.   Le lieu à lui seul, je pense, transcende les artistes et l'émotion qu'ils ressentent et partagent avec le public.  Cette lumière particulière du couchant de la côte d'azur, le ciel bleu, rose et orange qui vient se mêler avec l'horizon de la mer et qui se fond dans des teintes argentées avant de laisser place au bleu roi de la nuit.  Cette nuit légèrement éclairée par les lumières de Golfe Juan et de Vallauris qui au loin scintillent telles des lucioles.   Les pins qui créent un écrin pour la scène et les gradins, leur tronc tordu comme des contorsions de trompettistes, et puis soudain la lumière qui s'éteint et annonce le début du spectacle. Depuis 20 ans je vais à chaque édition de Jazz à Juan.  Je guette avec impatience et fébrilité le programme lorsqu'il est publié au mois d'avril pour découvrir qui viendra.   Et quand vient mi-juillet, je sais que les soirées seront belles.   Douces comme la voix de Melodie Gardot qui chaloupait entre jazz et bossa.   Charmeuses comme les notes de piano de Diana Krall jouées dans un silence saisi par l'émotion pure. Magnétiques comme l'hommage rendu à  Miles Davis par Marcus Miller, Wayne Shorter et Herbie Hanckok.  Dansantes comme les funks furieux d'Earth Wind and Fire ou Niles Rogers.   Brûlantes comme les blues saignants de BB King ou les cris du cœur et les larmes de Beth Hart.   Majestueuses comme ce concert de Marcus Miller accompagné par la philharmonie de Monaco.   Surprenantes comme Raoul Midon qui seul avec sa guitare et sa voix est un véritable orchestre.  Suaves comme la guitare de George Benson ou Pat Metheny.   Syncopées comme les squats d'Al Jarreau.   Orientales comme la trompette de Ibrahim Maalouf.   Et pleines de surprises comme celles et ceux à venir.  


Alors, merci papa et merci Norbert.  Merci à tous ceux qui perpétuent l'organisation et l'esprit de ce festival, et surtout, merci à chacun des artistes pour ce qu'il nous transmettent et l'émotion qu'ils nous procurent.