Nous retrouvons les personnages dont nous avions fait connaissance un "dimanche matin".
Souvenez-vous (ou relisez le premier chapitre): Georges est dans un bar PMU; il se prépare à parier pour le tiercé lorsqu'il est intrigué par une jeune femme. Cette femme (Patricia) vient de découvrir que le futur père (Paul) de l'enfant qu'elle porte, la trompe. Elle cherche désespérément à joindre sa soeur (Marlène), une comédienne qui est amoureuse d'une journaliste brésilienne.
Chapitre 2
Georges Dubois replia son Pris Turf et finit rapidement son demi en quittant sa table avant d’aller parier. Il fit ces gestes machinalement. Certes, il pensait à ce tiercé qu’il voulait gagner, mais quelque chose avait fait passer sa détermination au second plan. Il retourna discrètement la tête à quelques reprises en direction de la jeune femme aux yeux rougis par les larmes et qui regardait son téléphone portable comme si elle attendait qu’il en sorte des paroles. Puis il quitta le bar PMU, et après quelques pas, il marqua un temps de pose et ne put s’empêcher de faire demi tour pour revenir vers le bar. Il avait à peine réfléchi à son geste et cela avait été plus fort que lui. Il hésita malgré tout quelques secondes avant de rentrer dans le bar, puis finalement prit sa respiration, s’arma d’un peu de courage et le cœur battant un peu plus vite se dirigea vers la jeune femme.
- Mademoiselle, ….je ne veux surtout pas être indiscret mais… une très jolie jeune femme si triste un dimanche matin….accepteriez-vous que je vous offre un café ?
Patricia le regarda avec un mélange de surprise et d’incrédulité. Perdue dans son chagrin, le corps comme vidé elle ne comprenait pas ce qui se passait. Qui était cet homme, et que lui voulait-il ? Puis son regard se plongea dans le sien. Elle vit la bonté.
- Ecoutez, je ne veux surtout pas vous importuner, mais je ne peux pas vous laisser seule comme ça.
Et sans même attendre sa réaction il regarda le garçon, commanda deux cafés, tira la chaise vers lui et s’assit face à elle.
Au même moment, Paul s’apprêtait à renter chez lui. Il proposa à Marijke de la raccompagner chez elle. Dans le taxi qui filait vers Paris, Paul scrutait ses e-mails, ignorant Marijke qui cherchait son regard et qui finit par tourner son visage vers le paysage de l’autoroute, lui rappelant qu’elle retournait à sa vie de célibataire. De façon fugace, Paul se demanda : Que faire ? Quitter Patricia, renoncer à Marijke et lui faire comprendre que leur relation nouée pendant ce voyage n’avait été qu’une parenthèse ? En fait, il avait bien d’autres préoccupations. Il fallait trouver de nouveaux investisseurs pour financer l’expansion de sa société. Voilà ce qui l’amusait et qui le faisait se sentir un homme.
Marlène n’avait pas entendu son portable sonner et lui signaler les messages laissés par sa sœur. La voix de Celso Fonseca chantait « bom sinoi », une bossa qui transportait le cœur de Marlène auprès de Marisa. C’était un peu d’Ipanema qui s’invitait dans son appartement. En fermant les yeux, elle revit la rua Farme de Amoedo et la terrasse de Cafeina. Dans cette petite rue qui allait jusqu’à la plage, il y avait quelques cafés à l’ombre de grands arbres, et il faisait bon y déguster un cafezinho en regardant les jeunes se diriger vers la mer avec nonchalance, le pas trainant au bruit de la tong qui claque sur le talon. Elle se souvenait de Zaza , ce bistro où elles avaient dégusté une cuisine à mi chemin entre le Brésil et l’Asie, à moitié allongées dans de profonds coussins. Tous ces souvenirs flottaient dans son appartement et alors que son regard se perdait vers le ciel parisien, elle se demandait bien comment leur histoire allait continuer. Perdue dans ses pensées, elle prit une cigarette, tira une longue bouffée et pensa qu’il fallait se remettre au travail et revoir son texte. Les répétitions continuaient demain.
Le garçon venait de poser les deux cafés sur la table et Patricia séchait ses yeux.
- Merci.
- Je vous en prie.
Il y eut un silence gêné de quelques secondes, puis Patricia commença à parler.
- Mon fiancé me trompe avec une de ses collègues. Et moi qui n’ai rien vu venir…
Vous devez sûrement trouver que c’est d’un banal…
Vous devez sûrement trouver que c’est d’un banal…
- Rien n’est banal dans ces situations même si elles sont fréquentes.
Georges avait eu sa part de problèmes conjugaux. Avec sa femme Annick, ça n’avait jamais vraiment bien marché. Ils s’étaient mariés jeunes et n’avaient pas su se trouver. Ils s’aimaient sans s’aimer vraiment, et leur fille était devenue leur point d’intersection. Lorsque Sylvie eut dix huit ans, ses parents se séparèrent. Elle n’avait pas bien compris pourquoi ils s’étaient quittés, et depuis, ses rapports avec son père s’étaient distendus. Ils ne se parlaient plus beaucoup, et depuis un an, Georges n’avait pas vu sa fille. Il en souffrait et ne savait plus très bien comment renouer ce contact qui lui manquait tant. Patricia lui faisait penser à sa fille et il aurait aimé être face à elle ce matin.
Un dialogue se noua entre eux. Ils ne se connaissaient pas mais commencèrent à échanger avec beaucoup de liberté. Ils avaient vite décelé naturellement que dans ce dialogue ils ouvraient des portes de leurs tourments, et qu’en se parlant, des débuts de réponses venaient à eux. Ils restèrent ensemble un long moment puis quittèrent le café, se dirigeant chacun dans une direction opposée. Alors qu’il marchait, il pensait à Sylvie. Etait-elle heureuse ? De quoi était fait sa vie ?
Patricia commença à imaginer le scénario de ses « retrouvailles » avec Paul. Sa vie était en train de basculer. Ce matin elle était encore Patricia Dupré, future Madame Navarro. Cadre dans le service communication d’un grand groupe industriel elle se préparait une vie de jeune mère de famille faisant le grand écart entre son épanouissement professionnel, sa carrière prometteuse, une vie de couple, et l’éducation parfaite et harmonieuse qu’elle donnerait à ses enfants. Avec Marlène, elles en avaient parlé, mais sa sœur - qui vivait pour la scène - avait une vision de la vie de famille qui frôlait la réaction. Pour celle-ci, sa sœur finirait comme ses copines, chez le pédopsychiatre le mercredi après-midi, parce que son enfant - qui serait bien sûr très en avance pour son âge - serait en situation de stress car sa maitresse d’école ne comprendrait pas qu’il ait un référentiel différent de ses petits camarades de classe. Très peu pour elle.
Patricia se remémora la réaction de son père lorsqu’elle avait annoncé qu’elle et Paul allaient se fiancer. Son père, qui n’est pourtant pas fin psychologue, lui avait dit : « Ma fille, tu fais ce que tu veux mais…. ». Oui, il avait bien perçu qui était Paul. Paul était un usurpateur qui débordait d’égoïsme. Paul était le genre de personne qui ne parlait que de lui et qui ne vous écoutait pas. Paul ne voyait la vie qu’à travers le prisme de fichiers Excel et de cours de la bourse. Etranger à toute vie sociale, il n’avait qu’une obsession en tête, celle de faire prospérer son entreprise, de la valoriser et de spéculer sur la valeur qu’elle allait prendre.
Ce dimanche matin chacun se trouvait face à des choix imposés par des situations inattendues, des rencontres qui n’étaient peut-être pas le fruit du simple hasard. Il fallait reconsidérer que l’image que l’on s’était fait de demain allait changer. La vie ne suivait pas le chemin que l’on avait tracé. Il fallait prendre des décisions et se remettre en question. C’était aussi l’occasion de donner l’impulsion qui manquait auparavant et qui faisait que l’on allait, sans le savoir, dans une impasse d’où un jour, il faudrait faire demi-tour.
Georges rentra chez lui. Après avoir fermé la porte, il posa les clefs dans le vide-poche de la commode de l’entrée, rangea son manteau et se dirigea vers le salon. Il s’assit près du petit meuble sur lequel se trouvait le téléphone. Son cœur battait. Il prit son répertoire et les doigts tremblants, le feuilleta. Il vit le numéro qu’il cherchait et le composa. La première sonnerie, puis la deuxième, et enfin à la troisième on décrocha.
- Allô ?
- Allô Sylvie ?
- Oui ?
- Sylvie, c’est papa…
A suivre …