vendredi 22 août 2014

Photo, fais moi rêver

Depuis deux ans je me suis remis à faire de la photo.  Comme chaque photographe, je cherche la bonne lumière et le bon cadrage qui mettront en valeur le sujet.   Mais là ou la photographie devient vraiment intéressante, à mon avis, c'est lorsqu'elle permet de capter des émotions (par les portraits, en particulier), d'être une voie de création artistique, ou de solliciter l'évasion ou la méditation.  L'objectif permet de capturer et d'encadrer une émotion qui passe au travers de l'oeil.

En randonnée en montagne, je prends de multiples photos de paysages, de forêts, de plantes, de champignons...  Durant mes dernières sorties, je me suis attardé sur quelques vues assez banales, mais qui peuvent être autant d'évocations artistiques, mystérieuses, ou méditatives.

Le premier cliché transforme une simple signalétique de direction en une toile de gouache sur support de bois, où les couleurs de la peinture contrastent harmonieusement avec l'écorce du tronc et les différents teintes de lichens en donnant un aspect de toile moderne à l'ensemble.







Le deuxième cliché révèle un personnage mystérieux sortant d'un tronc d'arbre.  Quel prince des forêts est-il, quel monstre pourrait-il incarner, quel son sortira de sa bouche, que regarde-t-il? Comment s'est-il incarné dans cet arbre, est-il figé pour l'éternité?





Les deux clichés suivants appellent plus facilement à la méditation.   J'ai volontairement disproportionné les montagnes et le ciel pour laisser libre cours à nos imaginations devant les chimères et les fantômes du ciel qui dessinent leurs formes mystérieuse et magiques. A chacun de nous de les interpréter, de les deviner, de les rêver.







Nous voyons tous ces images.  Nos sens les captent, mais peut-être passons nous trop souvent à côté sans les observer vraiment.  Arrêtons nous quelques minutes et plongeons simplement dans les rêves qui nous sont offerts.   Allons au-delà d'un regard furtif, et ne boudons pas le plaisir de nous laisser emporter dans une rêverie qui nous emmènera au plus profond de nous pour nous entrainer à révéler nos ressentis.

Et là.... vous vous dites: "Mais il a fumé l'herbe de la montagne, Fabrice ? "

Mon propos peut paraitre simple, voire naïf, mais je sais que chacun d'entre nous a ce pouvoir d'aller au delà de ce que l'oeil voit et de voyager dans son esprit pour visiter les recoins de son Moi qui ne demandent qu'à être sollicités. 

J'avais juste à coeur de partager ces prises de vues qui m'ont inspirées mais aussi pourquoi... et en vous invitant à aller voir au delà des images.

Posez vos iphones, oubliez les selfies vite postés sur Facebook quelques instants, et faites votre propre selfie intérieur de temps en temps.




jeudi 17 juillet 2014

Jazz à Juan; quand le jazz est là, et plus encore...





L'été est depuis longtemps devenu synonyme de festivals en tous genres.
Le théâtre et la musique sous toutes leurs formes sont les rendez-vous incontournables des nuits étoilées de juillet et août.  Pendant quelques semaines, tous les courants musicaux sont rassemblés dans des lieux qui souvent les magnifient.  Pour l'amateur, c'est une fête que de pouvoir goûter au plaisir d'écouter une large sélection d'artistes soigneusement choisis et de découvrir de nouveaux talents.  Pour chacun, il y a le plaisir d'aborder la musique avec une oreille ouverte, exploratrice, curieuse et de ressentir des plaisirs nouveaux.  Car cet ensemble si particulier produit par un lieu, des artistes, l'air chaud, la lumière du couchant, est un cocktail vitaminé à l'émotion.   Mon festival, celui que je ne manque sous aucun prétexte c'est Jazz à Juan.  Mon histoire avec Jazz à Juan a commencé il y a longtemps. Bien longtemps.....

J'ouvre une très grande parenthèse......Au début des années 70, mon père  (Philippe) était publicitaire à l'agence Havas.   Figure reconnue du monde de la publicité, il avait activement participé à transformer les codes anciens de la "réclame", pour faire naître une forme nouvelle de création au service d'un changement profond des techniques de marketing.    Quelques années après mai 68,  il avait fait sauter ses verrous culturels, éducatifs et familiaux pour vivre dans un monde en profond changement.  Un monde qui faisait appel à des ressorts artistiques nouveaux pour nous faire aimer une marque et un produit.  Un monde où les images jouent sur notre inconscient pour déclencher des comportements de consommation liés à notre identification à celles-ci.   Aujourd'hui tout cela parait normal et acquis, mais c'est vraiment au début de la décennie 70 que cela a commencé.   Marchand (comme on l'appelait dans son milieu) avait sauté à pieds joints dans ce nouvel univers et à son échelle contribuait à le façonner.  Il collait à son époque, la devançait  même, à l'écoute des nouvelles musiques, des nouveaux talents, explorant les milieux alternatifs, cherchant dans les nuits parisiennes, il faisait éclore l'image, la photo, le son, le slogan qui allait toucher la population cible du produit.

En charge des budgets publicitaires de la source Perrier, il avait entre autres redynamisé l'eau de Saint-Yorre (« Saint-Yorre, mon foie connait pas »),  et le soda Fruité (« on n'a pas le tempérament à boire du raplapla, Fruité c'est plus musclé ! »).  Mais c'est avec Gini, qu'il a vraiment donné toute l'expression de son talent. Pour donner envie de découvrir une nouvelle expérience gustative, il avait trouvé ce slogan "Gini, un goût étrange venu d'ailleurs" et avait associé les Pink Floyd à l'image de Gini.   Dans le cadre de cette campagne, il avait organisé une tournée du groupe anglais en France, parrainée par Gini.  
A cette occasion il avait travaillé avec de nombreux personnages du show busines dont un certain Nobert Gamsohn.  Je ferme la parenthèse.....


L'été 74 (j'avais 12 ans), je passais le mois de juillet en vacances dans l'arrière pays cannois avec mon père.   Norbert Gamsohn qui était très ami avec lui, était le directeur artistique du festival de Jazz de Juan les Pins.  Le fameux Jazz à Juan.   Et grâce à lui, c'est en spectateur très privilégié que je me suis initié au jazz de la meilleure façon possible.  Pendant cet été là nous avons assisté à la quasi totalité des concerts.  Mais dans quelles conditions ! Grâce à Norbert, nous avions les meilleures places dans les premiers rangs et nous avions aussi accès au back-stage pour voir les concerts sur le côté de la scène.  Mais suprême privilège, nous étions admis dans le "Saint des Saints". Aujourd'hui le festival est presque une grosse machine, et les artistes ont des loges à leur disposition.  Pour peu que je me souvienne, il n'y avait pas de loges et avant les concerts les musiciens venaient boire un verre et se décontracter au bar de la plage située en contrebas de la scène.  Et chance extrême, Norbert nous donnait accès à ce lieu ultra confidentiel, et nous offrait le grand privilège de nous présenter les vedettes qui quelques minutes plus tard serraient sur scène.    
C'est comme ça, avec cette chance unique, que j'ai connu cette ambiance intime particulière qui règne avant les concerts auprès des plus grands musiciens de jazz.  Je me souviens tout particulièrement d'avoir été présenté â Eroll Garner, Muddy Waters et Freddy King.  Je crois aussi qu'il y avait Dizzy Gillepsie.   Certains m'avaient même signé un autographe sur un dessous de verre de bière.  Malheureusement je ne les ai pas gardés…    Ensuite, nous allions voir le concert soit dans les premiers rangs, soit sur le côté de la scène. Une fois le show terminé, il y avait des diners et des soirées à la Plage des Pêcheurs qui était un des haut lieux des nuit de Juan les Pins.  Nous nous retrouvions autour de grandes tablées jusque tard dans la nuit.  Il y avait une discothèque en plein air et je me souviens des fins de soirées bercées au son de « Rock your baby » de George Mc Crae.   Cette année là, la mode était aux chemises américaines de bowling.   Toutes les boutiques de Juan en vendaient et j'étais très fier de porter les miennes à l'occasion de ces soirées.

Alors, voilà comment j'ai fait mon éducation jazzistique, et comment est née ma relation particulière avec Jazz à Juan.   Un père aimant et bienveillant qui vivait dans un monde que je comprenais être peu ordinaire,  qui connaissait des vedettes et qui me faisait vivre des moments uniques tout en faisant mon éducation musicale, car il était un grand amateur de jazz.    

L'empreinte de Jazz à Juan est restée en moi depuis.  Cette émotion émerveillée que j'ai  ressentie durant ces soirées ne m'a plus quittée, et chaque soir que je passe à Jazz à Juan me transporte un peu en cet été 74 auprès de mon père au milieu de ces artistes, des  étoiles plein les yeux et du bonheur dans les oreilles.




Oui, il y a une magie à Juan.   Le lieu à lui seul, je pense, transcende les artistes et l'émotion qu'ils ressentent et partagent avec le public.  Cette lumière particulière du couchant de la côte d'azur, le ciel bleu, rose et orange qui vient se mêler avec l'horizon de la mer et qui se fond dans des teintes argentées avant de laisser place au bleu roi de la nuit.  Cette nuit légèrement éclairée par les lumières de Golfe Juan et de Vallauris qui au loin scintillent telles des lucioles.   Les pins qui créent un écrin pour la scène et les gradins, leur tronc tordu comme des contorsions de trompettistes, et puis soudain la lumière qui s'éteint et annonce le début du spectacle. Depuis 20 ans je vais à chaque édition de Jazz à Juan.  Je guette avec impatience et fébrilité le programme lorsqu'il est publié au mois d'avril pour découvrir qui viendra.   Et quand vient mi-juillet, je sais que les soirées seront belles.   Douces comme la voix de Melodie Gardot qui chaloupait entre jazz et bossa.   Charmeuses comme les notes de piano de Diana Krall jouées dans un silence saisi par l'émotion pure. Magnétiques comme l'hommage rendu à  Miles Davis par Marcus Miller, Wayne Shorter et Herbie Hanckok.  Dansantes comme les funks furieux d'Earth Wind and Fire ou Niles Rogers.   Brûlantes comme les blues saignants de BB King ou les cris du cœur et les larmes de Beth Hart.   Majestueuses comme ce concert de Marcus Miller accompagné par la philharmonie de Monaco.   Surprenantes comme Raoul Midon qui seul avec sa guitare et sa voix est un véritable orchestre.  Suaves comme la guitare de George Benson ou Pat Metheny.   Syncopées comme les squats d'Al Jarreau.   Orientales comme la trompette de Ibrahim Maalouf.   Et pleines de surprises comme celles et ceux à venir.  


Alors, merci papa et merci Norbert.  Merci à tous ceux qui perpétuent l'organisation et l'esprit de ce festival, et surtout, merci à chacun des artistes pour ce qu'il nous transmettent et l'émotion qu'ils nous procurent.

samedi 21 juin 2014

Soreze, ne vois tu rien venir ?

Soreze, ne vois tu rien venir ?



Dimanche de Pentecôte.  Un voyage pour retrouver une amie très chère, qui a choisi de prendre le chemin du calme et de la sérénité, nous amène dans le Tarn.


 
C'est la première fois que nous allons dans la belle région de la Montagne Noire, aux confins du Haut Languedoc et de l'Aude.  Là où la garrigue vient s'essouffler et butter contre la montagne.   Les dernières vignes de Saint Chinian serpentent nonchalamment sur les premiers contreforts rocheux.   Puis les cultures laissent place à la roche.   Les gorges creusent un relief plus rude que celui de la méditerranée, qui a décidé de s'arrêter au pied de cette Montagne Noire.   Une autre nature salue le promeneur.  Une belle nature majestueuse où le vert du printemps qui va bientôt accoucher de l'été déploie de multiples teintes.  Il enrobe la terre ;  il se fait peintre et étale toute sa gouache baveuse dans tous les recoins.   Ca et là, des taches jaunes témoignent de ce début d'été dont la température ferait plutôt penser à une fin d'août, quand la chaleur n'est plus supportable et que les prés succombent à son ardeur.

En ce dimanche de Pentecôte, nous décidons d'aller visiter le petit village médiéval de Soreze.  La route coule doucement entre côteaux et vallons.  Le paysage se perd à l'infini, ouvrant des horizons lointains pour que les yeux et les pensées vagabondent.  Du haut de la montagne, la Chapelle Saint Ferréol domine ses terres et protège ses âmes.  Tout est calme.  La brise chaude et le soleil incitent à la nonchalance.

Nous entrons dans Soreze.  Aussi endormi que petit, le village semble faire une sieste en attendant la fraicheur de la fin de journée.  Nous cherchons le chemin qui va nous mener à l'abbaye-école que nous sommes venus visiter.   Nous devrions trouver facilement, mais cherchons malgré tout notre chemin. Nous débouchons sur une placette où, à l'ombre d'un platane, une jeune femme est assise, seule.   Que fait-elle, qu'attend-t-elle? Il semble qu'elle soit la seule habitante de l'endroit.

Nous nous approchons, et lui demandons notre direction.   La morphologie de son visage aux pommettes rehaussées n'est pas sans rappeler le morphotype de l'Europe de l'Est.   A peine ouvre-t-elle la bouche pour nous dire d'aller tout droit et tourner à droite, nous reconnaissons dans la milliseconde aux roulements des r qu'elle est roumaine.   Dans un éclat de rire qu'elle ne comprend pas, nous lui demandons de quelle nationalité elle est.  Je suis  rrrrrrrrroumaine nous dit-elle.  Ce à quoi nous répondons par un vibrant et amical "multumesc" (merci en roumain).  Devant son visage interloqué nous engageons alors une petite conversation.  Je lui explique que je suis aussi roumain. Elle nous apprend qu'elle est moldave de Piatra Neamt, la où nous avions visité les monastères peints qui sont les trésors de la Moldavie.   Nous nous quittons avec la joie d'une rencontre totalement inattendue tant pour elle que pour nous.  Une roumaine qui rencontre un roumain là dans ce minuscule village du Tarn au fin fond de la campagne.   Comment nos routes ont-elles pu se croiser ?

J'aime la Roumanie, je pense à elle, je la sens souvent à côté de moi, j'aimerais y retourner encore pour mieux la connaitre et la ressentir.   Alors, quel beau cadeau que cette rencontre qui vient comme un signe; un message qui témoigne que la Roumanie sait que je pense à elle et qui me salue à sa façon.

Nous sommes dimanche de  Pentecôte.  Les apôtres recevaient l'Esprit Saint et allaient prêcher en parlant toutes les langues.   Aujourd'hui je veux croire qu'une divine manifestation s'est produite.  La Roumanie et ses âmes bienveillantes m'ont offert un beau signe d'amour.  Depuis que je suis allé à sa rencontre, mes chemins me rapprochent souvent de la Roumanie.  


Multumesc la Vie !

samedi 16 avril 2011

Bucarest - retour aux sources




Il y a quatre ans lorsque avec mon frère Stéphane nous avions définitivement fermé la porte de l’appartement de notre grand-mère Béba, je disais au revoir à la Roumanie.  Pendant une soixantaine d'années, dans cet appartement parisien s'était perpétuée en miniature, mais avec force, la vie joyeuse du Bucarest d’avant ses tourments.  Chaque année mamie Béba retournait à Bucarest et c'était comme si elle en revenait encore plus forte.


Quatre ans après je rouvre en grand cette porte en venant pour la première fois à Bucarest, là  tout avait commencé.  Le fil de mes origines roumaines peut reprendre. On ne peut pas laisser derrière soi ce qui a fait ce que je suis.  On ne laisse pas derrière soi ses origines, un pays, une tradition, une culture, de la famille et des amis.  S’il n'y avait eu les souffrances, les exterminations, les confiscations et les exils, la  vie heureuse de notre famille aurait continué à Bucarest.  

À peine arrivé je dépose en vitesse mes affaires à l'hôtel et je me dirige tout de suite vers la maison familiale.  Presque comme d'instinct je me repère facilement et je marche aisément dans la ville.  Je découvre la ville dont j'ai toujours entendu parler et je perçois combien il devait être agréable de vivre dans le "petit Paris des Balkans". À Bucarest il y a beaucoup de quartiers résidentiels sans immeubles où dans les rues paisibles de belles maisons côtoient des bâtiments élégants inspirés de l’architecture parisienne.   Cela confère à la ville une noblesse et un chic indéniable.  J'arrive devant le 47 de la rue Plantleor; le vert-tendre du printemps commence à habiller les arbres et j’imagine ma mère et mes grand-parents sortant de leur grande maison pour se diriger vers la Calea Victoriei, ses belles boutiques et ses salons de thé.   Soixante-cinq ans plus tard j’emprunte le même chemin dans ce quartier où rien ne semble avoir changé si ce n'est que leur maison abrite maintenant six appartements.

Plus je regagne le centre plus je comprend l’évolution de la ville.  Le passé est toujours là, mais la marque d’une triste parenthèse de plus de quarante ans devient de plus en plus visible.  À cela s'ajoute le modernisme un peu désordonné de ces dernières années.  En fait Bucarest a connu des ruptures brutales qui ne lui ont pas permis d'évoluer naturellement et paisiblement. À la rigueur froide et triste de l'architecture de type soviétique qui s'est imposée rapidement dans les années 1950, se mélangent aujourd'hui les marques d'un capitalisme commercial  post- révolutionnaire pas encore complètement maîtrisé.  Cet étrange cocktail donne à la ville un aspect un peu hétéroclite où de magnifiques hôtels particuliers côtoient de majestueux bâtiments, des églises orthodoxes plus belles les unes que les autres se retrouvent coincées entre des blocs de HLM type soviétique et des immeubles plus récents surmontés d'enseignes publicitaires qui ne sont pas du meilleur goût. 

Le soir je retrouve les amis proches de ma grand-mère pour un repas dans la plus pure tradition roumaine.  Les escalopes panées défilent dans mon assiette et on rigole, on blague, le roumain et le français se mêlent, je retrouve la joie roumaine que j'ai connue chez ma grand-mère.  Ca fait du bien !

Le lendemain je fais connaissance avec mes cousins, Olly, Edith et Morel, Alexandru et Ileana.   Nous retissons les liens plus ou moins éloignés de la famille.  L'émotion ne se cache pas et on se parle comme si on s'était toujours connus.  Et puis Alexandru me fait partager sa très grande connaissance de la ville par une visite unique ponctuée d'anecdotes historiques qu'il me raconte avec un humour très savoureux. Nous terminons ce grand tour par un déjeuner chez Capsa qui était le restaurant chic de Bucarest où il fallait aller et être vu.  Le décor tout en moulures et dorures n'a pas changé.  Alors que nous trinquons je pense à mon grand-père qui devait y inviter ma grand-mère.  C'était  juste avant la guerre.   Aujourd'hui je suis là, à Bucarest, et à ma façon je perpétue et vis mes origines familiales roumaines, heureux et prêt à revenir.

Merci à tous ceux qui en France, aux États-Unis, au Canada, en Israël et bien sûr en Roumanie ont contribué à ce voyage et à ces retrouvailles.  Je leur en suis infiniment reconnaissant.





dimanche 26 décembre 2010

Seat 25 C - "Travels" and "Travel"

I do a job that makes me travel often.  How many times did I hear « you are so lucky to travel for your job ».  I usually answer “yes”, and sometimes “no”.  On that December 1st, I would have rather answered “no”.  The automatic check-in machine had just assigned me the seat 25 C (out of 26 rows).  It was 4.30 pm and the flight was supposed to leave at 5.15 pm from Madrid to arrive in Frankfurt two hours later.  Frankfurt was experiencing a heavy snowstorm, and it’s finally with a two hours delay that we left Barajas airport.   Here I am, at the very rear of the Boeing 737, with my suitcase under my feet (there was of course no space left on the over head compartments), squeezed for the coming two hours.   At that very moment, I hate to travel.   


It takes ages to reach the runway and to kill time, I distractedly go through the Lufthansa magazine.  These airlines magazine follow the same structure and do not reveal any surprises to the readers.  An opening article about the airline, a businessman interview, the latest hot spots in the main big cities, a featured article on a touristic destination, and luxury goods advertising.  But this time, I came across  an interview of Alain de Botton,  titled: « Travel frees you to re-imagine yourself » .  It draw my attention for three reasons: first, because I had the chance to listen to the philosopher Alain de Botton just one year before at a conference in London, and his views on the evolution of the society were particularly interesting ; second, because at that very moment I would have so much loved to escape from this trip and re-imagine myself at home ; and thirdly, because travel has always been part of my life; I always loved to travel, I travel for my job, and I work for the travel industry.

I started reading:

LH : Mr de Botton, do you ever get itchy feet?

AdB : I do.  I look at the planes that fly overhead and I want to be on them.  I think all of us have this nomadic side.

Well, that’s a good start; It is quite true.  The human being is a nomad that has always been eager to discover the world and push his boundaries.  And it keeps going.  It becomes more and more easy to travel and it’s like if the entire world was within our reach.  It’s now also easy to travel virtually.  In just one click, I can visit any place on earth as if I was there.  I can see from any angle the places I will visit.  With Google Street, I walk on any street of any city in the world.   It is fascinating and sad at the same time, because in some way, we loose the real feeling of surprise and discovery. Nevertheless, it remains a source of inspiration and an invitation to travel.

I kept reading with interest:

AdB : But what travel is really about is discovering where you should go from a psychological point of view.  People should analyze why they want to travel and what the world can offer hem. 

LH : How can a person do this?

AdB : Airlines and travel agencies are sending people around the world.  At a deeper level they are connecting people with their dreams and hopes.  I would like to be offered a therapy service prior to booking a ticket and have the chance to talk to a therapeutically trained agent about why I want to ravel to a particular place.

LH : What ? go to a travel agency to get a therapy ? Not everybody would accept that.  What can we do ourselves ?

AdB : We can analyze why we want to travel and what our expectations are. The Christians pilgrims had very High expectations when they went on a journey:  They thought it would change their life.  And Goethe very much believed that traveling could change him as a human being.  I think we need to have a little bit of that ambition.

I stopped reading for a moment, captivated by what I read and started thinking about my travels, my motivations and objectives when I travel.  Maybe there were different periods in my life and my travels at the time reflected them. For example, when I was a teen or young adult, I wanted to visit places that stroke my imagination.  But deeper inside me, there was certainly a desire to become an independent person, to leave the family comfort zone, to hit the road and discover a new world far away from a well organized and protected life, the desire to see beyond my personal frontiers.  When I was 17, I took a summer job to buy me a ticket to New York.  My grandmother activated the family network and it’s with great kindness that my cousins Aviva and Heri welcomed me in their apartment in the Queens.  I will be grateful to them forever.  They had been recently going through the travel of their life.  They had left Romania for a free world and opened me their door so I could make my young adult initiatory travel.  Thank you.  But beyond the discovery of New York which completely fascinated me, and most probably through their journey, today I understand that I had also found out that travel can have a profound objective and that it is the driving force for our evolution, for our life.

I resumed my reading:

AdB : overcoming fantasies about travel, trying to be imaginative and break away from clichés. Travel is full of them.  The sunny beaches of X, the beautiful mountains of Y.  It’s always suggested that certain destinations are good and that others do not even qualify as designations.  It’s very normal for example to go to New York ; it’s not very normal to go to Kansas.  But maybe Kansas is actually better for you. Perhaps it suits you more.  Imagine you are someone who is anxious about the future, who worries what tomorrow will bring in your personal life, in your job. 
You should take a look at the Sinai desert. Perhaps all that eternity and vastness will free you from some of your day to day apprehensions.  The trick is to find places which maybe answer to an inner need but are not necessarily on the tourist map.  We need a goal when we travel.  More of a goal than relaxing on a beach.  You often need a journey to become a new person  because things are different elsewhere and new rules apply.  A journey is an invitation to change certain parts of your own life. It frees you to re-imagine yourself.


Oh !….I’m suddenly very interested.  Wasn’t I myself in the Sinaï desert ten months ago ?  Didn’t I go during that same trip to Israel to meet my roots, at a precise time in my life when the questioning and the connection with my origins appeared to me as a mandatory step and the key to my construction and my evolution?
Yes, I do understand what de Botton says. I had a profound objective and not only this journey was an essential element of the answer, but it would become also the starting point, a step towards other journeys that will address the same objective.

Indeed, one should not underestimate journeys with a leisure purpose. I enjoy beaches, I appreciate to be filled with a scenic landscape, I like cities, in particular the ones with a bay  like San Francisco, Nice, Rio, Hong Kong, Sydney; I like this contrast between the city and the sea as if the sea was an invite to a journey beyound the urbanity. But when I look back, I often gave preference to journeys allowing the discovery of different cultures that I felt close to, such as South America.  For others, it might be China, India, Africa.  One will find a history, a way of life, a religion, a philosophy, rituals which will reveal or feed a personal journey and will transform more or less our own personality, while leaving stamps and enlarging inner frontiers.  Each journey will raise questions and generate thoughts that will make us look at the world differently and therefore will make us evolve and change.  

LH : Why do people get this urge to travel in the first place ?

AdB : Because we aren’t just minds ? We are bodies, with senses as well.  We feel the air, the wind we smell things and we want to experience things physically with our bodies rather than just read about them.

Our senses need to be activated, awakened and shaken.  And above all, we rather usually keep our sensorial memories from our travels.  The smell of the spices market in Istanbul, the noise of the birds in the bird market in Hong Kong, the taste of the ‘pasteis de nata’ in Lisbon, the flavor and texture of the mango sticky rice in that little restaurant in Bangkok, the breeze blowing in the palm trees at night on a tropical beach, the ultra fine texture of the sand under your feet, the magic of a sun rise at the Grand Canyon… Let yourself go, and you will feel all your travel memories through your senses.  Travel is also about that.

LH : What changes do you see coming in the way we travel ?

AdB : Travelling will become more expensive.  People will travel less but will take their journey more seriously and try to connect the psychology to the destination.   I hope to see travel agencies that offer a psychotherapeutic service.  And that the hotel industry will expand the idea of what makes people happy. Everything is so dedicated to the body, good food, a comfortable bed, a mud bath, a pedicure.   The idea of wellness is to narrow, it should include things that are psychologically enriching.  We need people with a more creative approach to travel, toward a more complete experience of travel.

When I closed the magazine, the plane had taken off since a few minutes.  I thought about what I had just read.  I’ve been travelling so much but never read something that interesting about travelling.  I took my i-Pod, looked for the song I wanted to listen to at this moment and started reading again the interview.  The song began… here are the lyrics :

J'aimerais tant voir Syracuse
L'île de Pâques et Kairouan
Et les grands oiseaux qui s'amusent
A glisser l'aile sous le vent

Voir les jardins de Babylone
Et le palais du grand Lama
Rêver des amants de Vérone
Au sommet du Fuji-Yama

Voir le pays du matin calme
Aller pêcher au cormoran
Et m'enivrer de vin de palme
En écoutant chanter le vent

Avant que ma jeunesse s'use
Et que mes printemps soient partis
J'aimerais tant voir Syracuse
Pour m'en souvenir à Paris

Siège 25 C – « Voyages » et « Voyage »

Je fais un travail qui m’amène à voyager souvent ; combien de fois ai-je entendu : « tu as de la chance de voyager pour ton travail ».  A cette affirmation je réponds souvent oui, et parfois non.  Ce 1er décembre j’aurais bien volontiers répondu non.  L’automate venait de m’attribuer le siège 25 C (sur 26 rangées).  Il était 16h30, le vol devait partir à 17H15 de Madrid pour arriver à Frankfurt deux heures plus tard.  Frankfurt étant sous la neige, le vol part finalement avec un retard de presque deux heures.   Me voilà au fin fond du 737, ma valisette sous les pieds (il n’y avait bien sûr plus de place dans les coffres à bagages), coincé pour les deux heures à venir.  A ce moment précis je maudis le voyage.   

Le roulage vers le décollage n’en finit pas, et pour tuer le temps je feuillette distraitement le magazine de la Lufthansa.  Tous ces magazine sont conçus sur le même schéma éditorial et ne révèlent guère de surprises au lecteur: un couplet sur la compagnie, une interview d’un homme d’affaires, les derniers restaurants à la mode des grandes capitales, un reportage sur une destination lointaine, et des publicités pour des articles de luxe.  Mais là, je tombe sur une interview d’Alain de Botton dont le titre est « voyager vous permet de vous ré imaginer  / réinventer".  Voilà qui m’interpelle pour trois raisons : premièrement parce que j’avais eu la chance d’écouter un intervention du philosophe  Alain de Botton exactement un an auparavant lors d’une conférence à Londres et que ses propos sur l’évolution de la société m’avaient beaucoup intéressés,  deuxièmement parce qu’à ce moment précis j’aurais tant aimé me libérer de ce voyage et me ré imaginer chez moi, et troisièmement parce que le voyage a toujours fait partie de ma vie ; j’ai toujours aimé voyager, je voyage pour mon travail, et je travaille pour l’industrie du voyage.

Je commence la lecture,

LH : Mr de Botton, avez vous souvent la bougeotte?

AdB : Effectivement, je regarde souvent les avions qui passent au dessus de ma tête, et j'aimerais y être à bord. Je pense que nous avons tous ce côté nomade en nous.

Tiens, ca commence bien ;  C’est plutôt vrai.  L’homme est un nomade qui a toujours eu soif de découvrir le monde et d’élargir ses frontières.  Et ça ne fait que continuer.  Il est de plus en plus facile de voyager.  Il est également maintenant virtuellement facile de voyager; c’est comme si le mode entier était à notre portée  En un clic je peux visiter n’importe quel endroit du globe comme si j’y étais.   Je peux déjà voir sous tous les angles à quoi va ressembler l’endroit où je vais me rendre.  Avec Google Street je me promène déjà dans les rues de n’importe quelle ville du monde.  C’est à la fois extraordinaire et en même temps dommage parce que d’une certaine façon cela nous fait perdre le vrai sentiment de découverte, de surprise.  Mais c’est néanmoins une source d’inspiration et d’incitation au voyage.

Je continue la lecture avec intérêt :

AdB : Mais le voyage, c'est avant tout découvrir la destination où vous devriez vous rendre, d'un point de vue psychologique. Les gens devraient analyser pourquoi ils veulent voyager et ce que le monde peut leur apporter.

LH : Comment une personne peut-elle y parvenir?

AdB : Les compagnies aériennes et les agences de voyage envoient les passagers à l'autre bout du monde. Sur un plan plus profond, ils connectent les gens avec leurs désirs et leurs rêves. J'aimerais que l'on m'offre une prestation de thérapie avant de réserver un billet, et avoir une opportunité d'échanger avec un agent formé à la relation d'aide, qui puisse me faire prendre conscience de mes motivations et comprendre les raisons pour lesquels je veux voyager vers une destination particulière

LH : Comment ? Aller dans une agence de voyage pour y suivre une thérapie? Tout le monde n'accepterait pas cela. Que pouvons nous faire par nous mêmes?

AdB : Nous pouvons analyser les raisons pour lesquelles nous voulons voyager et quelles sont nos attentes. Les chrétiens pèlerins avaient des attentes très fortes lorsqu'ils voyageaient : ils pensaient que leur vie en serait transformée. Même Goethe était convaincu que voyager pouvait transformer son être. Je pense que nous devrions avoir cette ambition pour nous-mêmes.

J’interromps ma lecture un instant captivé par le propos, et je réfléchis sur  ma façon de voyager, mes motivations, les buts que je recherche dans les voyages.  Peut-être y a-t-il eu plusieurs époques qui correspondaient à des moments de la vie et que mes voyages reflétaient ces moments.  Par exemple, adolescent et jeune adulte je cherchais à connaître des endroits qui émerveillaient mon imagination.  Mais au fond  de moi il avait certainement le désir de devenir un être indépendant qui quitte son cocon familial et qui part sur la route vers un monde nouveau en s’affranchissant d’une vie quotidienne réglée, qui veut « voir » au delà de ses frontières personnelles.  La modernité de l’Amérique me fascinait, et new York en particulier.  A 17 ans J’avais travaillé l’été pour me payer un billet d’avion pour aller à New York.   Ma grand-mère  avait activé la famille et c’est avec une grande gentillesse que mes cousins Aviva et Heri m’ont accueillis dans leur appartement du Queens.  Je leur en serai reconnaissant toute ma vie.   Eux avaient entrepris un an avant le voyage de leur vie.  Ils avaient quitté la Roumanie pour un monde libre, commençaient une vie nouvelle, et m’avaient ouvert leur porte pour que je fasse mon voyage « initiatique » de jeune adulte.  Merci.  Mais au delà de la découverte de New York qui m’a complètement fasciné, je comprends aujourd’hui que j’ y avais aussi découvert, et peut-être aussi grâce a leur histoire, que le voyage doit avoir un but profond, et que c’est un moteur de notre évolution, de notre vie.

Je poursuis l’interview :

AdB : Nous devons nous débarrasser des fantasmes que nous avons concernant les voyages, nous devons être imaginatifs et nous affranchir des clichés. Le monde du voyage en est rempli : les plages de sable fin de X, les superbes montagnes de Y... On vous privilégie sans cesse certaines destinations au détriment d'autres, qui ne sont même pas proposées... Il est très "normal", par exemple, d'aller à New York ; en revanche, il n'est pas "normal" d'aller visiter le Kansas. Mais peut-être que le Kansas est précisément mieux pour vous, qu'il vous conviendrait davantage. Imaginez que vous êtes une personne qui s'inquiète pour son avenir, qui se demande de quoi demain sera fait, sur les plans personnel et professionnel. Vous devriez peut-être vous tourner alors vers le Désert du Sinaï. Peut-être que son immensité et le sentiment d'éternité qui s'en dégage vous libéreraient de vos préoccupations quotidiennes et de vos appréhensions. L'idée, c'est d'aller vers des destinations qui pourront peut-être répondre à un besoin profond, mais qui ne se trouvent pas forcément sur une carte touristique. Lorsque nous voyageons, nous avons besoin d'un but. Nous avons plus besoin d'un objectif que de simplement nous étendre sur une plage.  Vous avez souvent besoin d'un voyage pour devenir une nouvelle personne, parce qu'ailleurs, les choses sont différentes, et d'autres règles s'appliquent. Un voyage est une invitation à transformer certains compartiments de votre vie. Cela vous permet de vous réinventer

Houlà là….là je suis captivé.  N’étais-je pas moi même dans le désert du Sinaï il y a 10 mois ? N’étais-je pas allé lors de ce même voyage, en Israël, à la rencontre de mes racines  à un moment précis de la vie où le questionnement sur, et la connexion avec mes origines m’était apparu comme une nécessaire étape et une des clés de ma construction et de mon évolution. Oui, je comprends bien ce que dit de Botton.  J’avais un but profond, et non seulement ce voyage était un élément essentiel de la réponse, mais il allait également s’avérer être  un point de départ, une étape vers d’autres voyages qui répondront aux mêmes objectifs.

Certes il ne faut pas sous estimer les voyages qui ont une tonalité plus légère ou tout simplement de découverte d'un lieux.  Je suis le premier à apprécier les plages, à me remplir d'un paysage, à aimer les villes et surtout celles où il y a une baie (San Francisco, Nice, Rio, Hong Kong, Sydney); j'aime ce contraste entre la ville et la mer comme si la mer était une invitation au voyage au delà de l'urbanité.  Mais lorsque je regarde en arrière j’ai finalement souvent privilégié les voyages qui permettent de découvrir des cultures dont j’avais la perception de me sentir proche, comme l’Amérique du Sud par exemple.  Pour d’autres ce sera la Chine, l’Inde, l’Afrique.  Chacun trouvera une histoire, une façon de vivre, de voir la vie, une religion, une philosophie, des rites qui viendront révéler ou nourrir un chemin personnel et qui transformeront plus ou moins profondément notre moi en laissant des empreintes et en élargissant nos frontières personnelles.  Chaque voyage suscitera des questions et génèrera des réflexions qui nous feront voir le monde et l’autre différemment, et donc nous feront évoluer.

LH : Pourquoi les gens ont-ils cette envie pressante de voyager, pour commencer ?

AdB : Nous ne sommes pas que des esprits, nous sommes également constitués d'un corps doté de sens. Nous ressentons l'air, le vent, nous sentons les choses par l'odorat - et nous voulons vivre l'expérience physique par notre corps plutôt que de juste lire cette expérience à travers un livre.

Nos sens ont besoin d’être activés, réveillés, bousculés.  Et plus que tous autres, ce sont d’ailleurs souvent des souvenirs sensoriels que nous gardons de nos voyages.  L’odeur du marché aux épices d’Istanbul, le bruit des oiseaux au marché aux oiseaux de Hong Kong, le gout des pasteis de nata à Lisbonne,  la saveur et la texture du riz gluant à la mangue dans ce petit restaurant de Bangkok,  la brise qui souffle dans les feuilles de palmiers le soir sur une plage des tropiques,  la texture farineuse d’un sable ultra fin sous son pied, la magie d’un lever de soleil au grand canyon…   Laissez-vous aller et vous allez ressentir tous vos souvenirs de voyage remonter par les sens.  C’est ça aussi le voyage.  


LH : Quels changements voyez vous se produire dans notre façon de voyager ?

AdB : Voyager va coûter plus cher. Les gens voyageront moins, mais s'investiront davantage dans leur voyage, et essaieront de connecter leur esprit et la destination. Je souhaite voir les agences de voyage proposer une prestation psychothérapeutique. Et j'espère que l'industrie hôtelière ira plus loin dans son analyse de ce qui rend les gens heureux. Tout tourne autour du corps : une bonne cuisine, un lit confortable, un bain de boue, une pédicure. Le concept du bien-être est un peu trop étroit, il faudrait l'élargir en y incorporant des éléments enrichissants pour l'esprit. Nous avons besoin de gens avec une approche plus créative vers une expérience plus complète du voyage.


Je referme le magazine, l’avion a décollé depuis quelques instants.  Je reste pensif.  J’ai tant voyagé mais je n’avais pas lu quelque chose d’aussi intéressant sur le voyage.  Je prends mon i-pod, cherche la chanson que je veux écouter à ce moment précis et relis cette interview une deuxième fois;  La chanson commence ;  en voici les paroles (vous reconnaîtrez la mélodie) :

J'aimerais tant voir Syracuse
L'île de Pâques et Kairouan
Et les grands oiseaux qui s'amusent
A glisser l'aile sous le vent

Voir les jardins de Babylone
Et le palais du grand Lama
Rêver des amants de Vérone
Au sommet du Fuji-Yama

Voir le pays du matin calme
Aller pêcher au cormoran
Et m'enivrer de vin de palme
En écoutant chanter le vent

Avant que ma jeunesse s'use
Et que mes printemps soient partis
J'aimerais tant voir Syracuse
Pour m'en souvenir à Paris

dimanche 28 novembre 2010

Dimanche matin; Chapitre 2


Nous retrouvons les personnages dont nous avions fait connaissance un "dimanche matin".  

Souvenez-vous (ou relisez le premier chapitre):  Georges est dans un bar PMU; il se prépare à parier pour le tiercé lorsqu'il est intrigué par une jeune femme.  Cette femme (Patricia) vient de découvrir que le futur père (Paul) de l'enfant qu'elle porte, la trompe.  Elle cherche désespérément à joindre sa soeur (Marlène), une comédienne qui est amoureuse d'une journaliste brésilienne.

Chapitre 2

Georges Dubois replia son Pris Turf et finit rapidement son demi en quittant sa table avant d’aller parier.  Il fit ces gestes machinalement.  Certes, il pensait à ce tiercé qu’il voulait gagner, mais quelque chose avait fait passer sa détermination au second plan.  Il retourna discrètement la tête à quelques reprises en direction de la jeune femme aux yeux rougis par les larmes et qui regardait son téléphone portable comme si elle attendait qu’il en sorte des paroles.    Puis il quitta le bar PMU, et après quelques pas, il marqua un temps de pose et ne put s’empêcher de faire demi tour pour revenir vers le bar.  Il avait  à peine réfléchi à son geste et cela avait été plus fort que lui.  Il hésita malgré tout quelques secondes avant de rentrer dans le bar, puis finalement prit sa respiration, s’arma d’un peu de courage et le cœur battant un peu plus vite se dirigea vers la jeune femme.
- Mademoiselle, ….je ne veux surtout pas être indiscret mais… une très jolie jeune femme si triste un dimanche matin….accepteriez-vous que je vous offre un café ?
Patricia le regarda avec un mélange de surprise et d’incrédulité.  Perdue dans son chagrin, le corps comme vidé elle ne comprenait pas ce qui se passait.  Qui était cet homme,  et que lui voulait-il ? Puis son regard se plongea dans le sien.  Elle vit la bonté.
- Ecoutez, je ne veux surtout pas vous importuner, mais je ne peux pas vous laisser seule comme ça.
Et sans même attendre sa réaction il regarda le garçon, commanda deux cafés, tira la chaise vers lui et s’assit face à elle.

Au même moment, Paul s’apprêtait à renter chez lui. Il proposa à Marijke de la raccompagner chez elle.  Dans le taxi qui filait vers Paris, Paul scrutait ses e-mails, ignorant Marijke qui cherchait son regard et qui finit par tourner son visage vers le paysage de l’autoroute, lui rappelant qu’elle retournait à sa vie de célibataire.  De façon fugace, Paul se demanda : Que faire ?  Quitter Patricia, renoncer à Marijke et lui faire comprendre que leur relation nouée pendant ce voyage n’avait été qu’une parenthèse ?  En fait, il avait bien d’autres préoccupations.  Il fallait trouver de nouveaux investisseurs pour financer l’expansion de sa société.  Voilà ce qui l’amusait et qui le faisait se sentir un homme.

Marlène n’avait pas entendu son portable sonner et lui signaler les messages laissés par sa sœur.  La voix de Celso Fonseca chantait « bom sinoi », une bossa qui transportait le cœur de Marlène auprès de Marisa.  C’était un peu d’Ipanema qui s’invitait dans son appartement.  En fermant les yeux, elle revit la rua Farme de Amoedo et la terrasse de Cafeina.  Dans cette petite rue qui allait jusqu’à la plage, il y avait quelques cafés à l’ombre de grands arbres, et il faisait bon y déguster un cafezinho en regardant les jeunes se diriger vers la mer avec nonchalance, le pas trainant au bruit de la tong qui claque sur le talon.  Elle se souvenait de Zaza , ce bistro où elles avaient dégusté une cuisine à mi chemin entre le Brésil et l’Asie, à moitié allongées dans de profonds coussins.  Tous ces souvenirs flottaient dans son appartement et alors que son regard se perdait vers le ciel parisien, elle se demandait bien comment leur histoire allait continuer.  Perdue dans ses pensées, elle prit une cigarette, tira une longue bouffée et pensa qu’il fallait se remettre au travail et revoir son texte.  Les répétitions continuaient demain.

Le garçon venait de poser les deux cafés sur la table et Patricia séchait ses yeux.
- Merci.
- Je vous en prie. 
Il y eut un silence gêné de quelques secondes, puis Patricia  commença à parler. 
- Mon fiancé me trompe avec une de ses collègues.  Et moi qui n’ai rien vu venir…
Vous devez sûrement trouver que c’est d’un banal…
- Rien n’est banal dans ces situations même si elles sont fréquentes.

Georges avait eu sa part de problèmes conjugaux.  Avec sa femme Annick, ça n’avait jamais vraiment bien marché.  Ils s’étaient mariés jeunes et n’avaient pas su se trouver.  Ils s’aimaient sans s’aimer vraiment, et leur fille était devenue leur point d’intersection.  Lorsque Sylvie eut dix huit ans, ses parents se séparèrent.  Elle n’avait pas bien compris pourquoi ils s’étaient quittés, et depuis, ses rapports avec son père s’étaient distendus.  Ils ne se parlaient plus beaucoup, et depuis un an, Georges n’avait pas vu sa fille.  Il en souffrait et ne savait plus très bien comment renouer ce contact qui lui manquait tant.  Patricia  lui faisait penser à sa fille et il aurait aimé être face à elle ce matin.

Un dialogue se noua entre eux.  Ils ne se connaissaient pas mais commencèrent à échanger avec beaucoup de liberté.  Ils avaient vite décelé naturellement que dans ce dialogue ils ouvraient des portes de leurs tourments, et qu’en se parlant, des débuts de réponses venaient à eux.  Ils restèrent ensemble un long moment puis quittèrent le café, se dirigeant chacun dans une direction opposée. Alors qu’il marchait, il pensait à Sylvie.  Etait-elle heureuse ? De quoi était fait sa vie ?

Patricia commença à imaginer le scénario de ses « retrouvailles » avec Paul.   Sa vie était en train de basculer.  Ce matin elle était encore Patricia Dupré, future Madame Navarro.  Cadre dans le service communication d’un grand groupe industriel elle se préparait une vie de jeune mère de famille faisant le grand écart entre son épanouissement professionnel, sa carrière prometteuse, une vie de couple, et l’éducation parfaite et harmonieuse qu’elle donnerait à ses enfants.   Avec Marlène, elles en avaient parlé, mais  sa sœur - qui vivait pour la scène - avait une vision de la vie de famille qui frôlait la réaction.  Pour celle-ci, sa sœur finirait comme ses copines, chez le pédopsychiatre le mercredi après-midi, parce que son enfant - qui serait bien sûr très en avance pour son âge - serait en situation de stress car sa maitresse d’école ne comprendrait pas qu’il ait un référentiel différent de ses petits camarades de classe.  Très peu pour elle. 

Patricia se remémora la réaction de son père lorsqu’elle avait annoncé qu’elle et Paul allaient se  fiancer.   Son père, qui n’est pourtant pas fin psychologue, lui avait dit : « Ma fille, tu fais ce que tu veux mais…. ».  Oui, il avait bien perçu qui était Paul.   Paul était un usurpateur qui débordait d’égoïsme.  Paul était le genre de personne qui ne parlait que de lui et qui ne vous écoutait pas.  Paul ne voyait la vie qu’à travers le prisme de fichiers Excel et de cours de la bourse.  Etranger à toute vie sociale, il n’avait qu’une obsession en tête, celle de faire prospérer son entreprise, de la valoriser et de spéculer sur la valeur qu’elle allait prendre.  

Ce dimanche matin chacun se trouvait face à des choix imposés par des situations inattendues, des rencontres qui n’étaient peut-être pas le fruit du simple hasard.   Il fallait reconsidérer que l’image que l’on s’était fait de demain allait changer.  La vie ne suivait pas le chemin que l’on avait tracé.  Il fallait prendre des décisions et se remettre en question.  C’était aussi l’occasion de donner l’impulsion qui manquait auparavant et qui faisait que l’on allait, sans le savoir, dans une impasse d’où un jour, il faudrait faire demi-tour.

Georges rentra chez lui.  Après avoir fermé la porte, il posa les clefs dans le vide-poche de la commode de l’entrée, rangea son manteau et se dirigea vers le salon.   Il s’assit près du petit meuble sur lequel se trouvait le téléphone.  Son cœur battait.  Il prit son répertoire et les doigts tremblants, le feuilleta.  Il vit le numéro qu’il cherchait et le composa.  La première sonnerie, puis la deuxième, et enfin à la troisième on décrocha.
- Allô ?
- Allô Sylvie ?
- Oui ?
- Sylvie, c’est papa…


A suivre …